Toute mon enfance j'ai vu les femmes de ma famille réaliser des ouvrages en tissus et en fil cousus, brodés, au crochet ou au tricot…. J'ai appris avec elles le plaisir des « ouvrages de dames ». Après des études d'arts appliqués et une carrière dans le textile, j'ai choisi de me consacrer à cet univers.
Héritière d'un savoir-faire féminin, familial et professionnel, j'ai gardé la mémoire des gestes réservés à l'intimité du foyer et tente d'en élargir les champs. Ce qui était alors une forme d'œuvre « domestique » devient un mode d'expression artistique marqué par sa féminité intrinsèque.
Loin des préoccupations de vitesse, d'efficacité et de consommation de notre époque, j'aime le coté laborieux de ces ouvrages, le temps la patience et l'économie de moyens nécessaires pour les réaliser, et communs à tous les ouvrages réalisés par les femmes du monde entier. J'ai envie que ces techniques soient toujours utilisées, en hommage aux femmes d'ici et d'ailleurs et des générations précédentes. Je veux profiter de la chance que j'ai ici et aujourd'hui de pouvoir emmener ce savoir-faire à un autre endroit, réduire la distance qui sépare l'artisanat de l'art et réévaluer ce type de travail, car comme le dit Annette messager : « un point de couture peut-être très beau ».
J'utilise des tissus usés qui ont gardé les traces de la vie et la mémoire des corps. Les marques qu'il lui imprime disent le passage du temps. L'usure, les déformations, les reprises, les taches, les teintures fanées me touchent . En teignant mes tissus, je recrée en partie cette apparence de détérioration. Je trouve dans les placards de ma maison les outils et matériaux nécessaires à ce travail : je teins avec les épices avec lesquelles je cuisine, le thé que je bois, l'eau de javel, le brou de noix et l'encre que je trouve sur mes étagères.
Je couds à la main ou à la machine des panneaux plus ou moins grands en essayant de dépasser les conventions du genre, les fils qui pendent les matières coupées de travers et les faux plis m'intéressent.
J'utilise aussi du fil de coton blanc et de couleur ou de la ficelle de lin pour réaliser des pièces au crochet qui s'apparentent à un travail de sculpture.
Ce qui m'intéresse dans la représentation du corps avec le tissu, c'est le lien étroit qui existe entre ce matériau et l'humain. Le tissu est une seconde peau, une enveloppe corporelle qui garde l'empreinte du corps qui l'a porté. Celui-ci rend le tissu vivant, lui donne une matérialité charnelle. L'étoffe garde du corps le souvenir, entier ou fragmenté. Ce souvenir gardé est multiple, émouvant, troublant, violent, sensuel ou érotique. Il devient motif ou volume. Je le trace ou le modèle selon mes émotions ou mon intuition de l'expression la plus figurative jusqu'à une version la plus simplifiée et originelle, le rond, en passant par des volumes organiques évocateurs.
Je n'évoque pas uniquement le dehors mais aussi le dedans, en inventant ma propre représentation de l'intérieur du corps, des organes aux microscopiques cellules et bactéries, dont je donne des images fantasmées et fantastiques.
Je cherche ainsi à exprimer l'intimité, le secret intérieur.
Aujourd'hui je fais des installations où je mêle parfois des œuvres en tissu, des sculptures au crochet, des objets en céramique que je fabrique moi-même et des photos numériques.
Cécile Dachary